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Réflexions sur le Moyen-Orient et sur la Syrie en particulier

Casoar

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31/01/2017

Réflexions sur le Moyen-Orient et sur la Syrie en particulier
 
Par le général de corps d’armée François Cann – Promotion « Union Française » (1952-54)
 
(Deux séjours opérationnels au Liban m’ont amené à m’intéresser de près à    « ce Moyen-Orient compliqué » que dépeint  le commandant de Gaulle, lorsqu’il y est chargé de mission  en 1933  « vers lequel il s’envole avec des idées simples ».
 
Les caméras occidentales nous envoient actuellement des images insoutenables de pauvres populations civiles prises entre deux feux, fuyant sous les bombardements qui frappent la ville d’Alep.
L’émotion est à son comble et, comme elle stérilise la réflexion, « les idées simples » deviennent « des idées simplistes » : il y a d’un côté « les gentils », les nations occidentales et les « rebelles modérés » (au fait : c’est quoi un rebelle modéré ?) et de l’autre côté, « les méchants », Poutine et Bachar el Assad.
On ne peut rien comprendre au Moyen-Orient, et encore moins au Proche-Orient, dès lors qu’on occulte cette guerre de religion et cette haine mortelle qui, depuis le septième siècle, opposent les sunnites (les gardiens de la foi ; sunna = foi) et les chiites (en quelque sorte les protestants de l’Islam depuis l’assassinat d’Ali, le gendre du prophète en 661).
Le chiisme connaît plusieurs courants dont l’alaouisme qui, en Syrie est  la confession  de Bachar el Assad et de la plupart des dirigeants syriens.
La Syrie est à majorité sunnite (60 %), complétée par 15 % d’alaouites, 10 % de chrétiens et 15 % de Druzes. Si on ajoute à ces minorités, environ 10 % de
sunnites qui ont fait allégeance au pouvoir des Assad, soit par ambition politique, soit par intérêt économique et financier, alors il est inexact de dire que tout le peuple syrien est contre le pouvoir.
Et pourtant l’Occident reste accroché à cette image par ses caméras qui n’exercent que d’un côté.
 
 
Au XIIIe siècle, les sunnites, considérant que les alaouites sont des hérétiques, prononcent une fatwa leur imposant la conversion ou la mort. Les alaouites se soulèvent mais, vaincus, ils se réfugient dans les Monts Ansarieh qui dominent la Méditerranée.
Miséreux, ils se livrent au banditisme et sont sévèrement combattus par les Ottomans qui occupent le pays et dont ils deviennent des esclaves. Les irrédentistes sont victimes d’exactions sauvages : les Turcs en massacrent 30 000 à Homs en 1317 et 10 000 à Alep (déjà) en 1516.
Il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’Islam reconnaisse l’alaouisme.
Lors de la première guerre mondiale, l’empire ottoman s’étant rangé aux côtés de la Prusse, les Syriens rallient les forces franco-britanniques. En 1920, la France se voit confier un mandat de la SDN dont le but est la création d’une république syrienne, d’un état druze et d’un territoire des alaouites. Ces derniers intègrent en nombre les nouvelles forces armées et autres milices. C’est pour eux un tournant décisif : la fin de leur condition de citoyens de second rang et aussi un tremplin pour leurs ambitions politiques.
C’est cette revanche des persécutés, des opprimés et des sans-grade à laquelle on assiste aujourd’hui en Syrie.
En septembre 1936, près d’un demi-million d’alaouites signent un manifeste adressé à la SDN : «… les alaouites sont des êtres humains et pas des bêtes prêtes à l’abattage. Aucune puissance au monde ne peut les forcer à accepter le joug de leurs ennemis traditionnels et héréditaires en étant leurs esclaves pour toujours. Les alaouites regretteront profondément la perte de leur amitié et de leur attachement fidèle et noble à la France qui jusqu’à présent a été tant aimée, admirée et adorée par eux ».
En 1939, cinq mille alaouites, portant des armes françaises, montent une rébellion anti-sunnite. Mais en 1946, l’ONU prononce la fin du mandat français de la SDN de 1920. Alors les alaouites se démènent pour que  leur territoire officiel soit rattaché au Liban. En vain.
En 1970, un général d’aviation, Hafez el Assad (le père de l’actuel Bachar), de confession alaouite, porté par le parti Baas et par l’armée, accède au pouvoir. Pour la première fois, les sunnites ne dirigent plus la Syrie. Mais aussitôt ressurgissent les vieux démons : en 1980 un commando de Frères musulmans s’infiltre dans l’Ecole des cadets d’Alep ; ayant séparé les élèves sunnites des élèves chiites, les agresseurs égorgent ces derniers un à un. La vengeance sera terrible : la ville de Hama, d’où proviennent les agresseurs, est aussitôt encerclée. Le lendemain matin on y dénombre 25 000 cadavres !
L’ascension fulgurante de Hafez el Assad suscite une remarque d’ordre général : les princes sunnites du Moyen-Orient ont souvent ignoré, voire méprisé, les forces armées. Les généraux s’en sont souvenus :
en Turquie, Kemal Atatürk émerge en 1923,
en Égypte, Neguib en 1950 et Nasser en 1952,
en Libye, Kadhafi en 1969,
en Syrie, Hafez al-Assad en 1970,
en Irak, Saddam  Hussein en 1979,
et plus récemment, en Égypte,  Al Sissi.
Mais revenons à la Syrie où l’on peut imaginer que le duel à mort millénaire ne parvienne pas à son terme et que la lassitude propre à toute guerre civile finisse par gagner les esprits et se traduise par une solution de partition géographique du genre « chacun chez soi ». Il suffirait alors, en quelque sorte, de donner vie au projet avorté de la Société des Nations (SDN) qui, en 1920 après la signature du traité de Sèvres, avait prévu la quadruple création d’une république syrienne, d’un état druze, d’un territoire alaouite et d’un État kurde. Cette partition serait largement encouragée alentour par les Libanais, les Israéliens,  et les Kurdes.
Par les Libanais parce qu’ils vivent déjà ce genre de partition : il y a  aujourd’hui «quatre Liban », chiite, chrétien, sunnite et druze, par les Israéliens dont l’État a été créé en 1948 en vertu d’un concept « une ethnie, une religion », par les pauvres Kurdes qui sont 25 millions d’apatrides répartis entre l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Supposons que cette partition se réalise : les alaouites seraient regroupés  vers la mer, les chrétiens se replieraient au Liban et les Druzes dans le Golan où ils sont déjà largement majoritaires. Et alors, la Syrie restante, sunnite, trouverait à son est les chiites d’Irak, à son ouest le Hezbollah libanais et à son sud les Druzes du Golan. Ne leur resterait alors qu’un allié religieux au nord : les sunnites de Turquie, ses anciens ennemis ottomans dont le seul fait de prononcer le nom « Turquie » les terrorise. In fine, un avenir peu garant de stabilité pour l’ensemble de la région surtout si on se réfère à l’adage ancestral :
« On ne peut pas faire la guerre sans l’Égypte mais on ne peut pas faire la paix sans la Syrie ».
 
 
La Russie et la Syrie
Le monde occidental s’étonne de la persévérance de la Russie à opposer son veto à toute intervention en Syrie. On peut expliquer  cette attitude  par au moins huit  motifs, un de forme et sept de fond.
La raison de forme tient à la vexation qu’ont subie les Russes lors de l’intervention franco-britannique en Libye qui, selon eux, a outrepassé les conditions du mandat fixé par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Sept raisons de fond  éclairent cette attitude de blocage :
1/à partir de 1960, les Soviétiques  avaient  constitué en Moyen-Orient quatre points d’appui stratégique pour contrer l’influence que les Américains exerçaient sur Israël, sur l’Arabie Saoudite, sur les pays du Golfe et sur le Pakistan. De ces quatre points d’appui, Syrie, Irak, Yémen, Égypte, il ne reste plus aux Russes  que la Syrie de Bachar  el Assad.
2/en 1919, à l’issue de la première guerre mondiale, le Moyen-Orient se trouve réarticulé. Par réflexe, les religions locales se rapprochent de leurs sources d’inspiration : les sunnites vers la Mecque, les chiites vers Téhéran, les catholiques et les maronites vers Rome et les chrétiens orthodoxes vers Moscou. De sorte que la Russie, étant devenue l’Union soviétique en 1917, tout naturellement, les minorités orthodoxes de Syrie et du Liban qui sont resserrées sur la côte méditerranéenne, vont fournir l’essentiel des membres des partis communistes de Syrie et du Liban.
3/en 1960, lorsque la marine soviétique franchit en force le Bosphore pour prendre sa place en Méditerranée, elle trouve tout naturellement un accueil favorable chez les coreligionnaires orthodoxes syriens  des ports de Tartous et de Lattaquié qui sont, depuis plus de cinquante ans, des bases navales indispensables aux navires russes.
4/un marin ayant par tradition une fille dans chaque port, depuis cette période, de nombreux mariages ont été célébrés entre marins russes de passage et jeunes filles syriennes orthodoxes, ce qui porte aujourd’hui la communauté « pied-noir » russe à plus de 12 000 personnes le long de la côte syrienne. On ne peut pas imaginer un seul instant que Moscou les abandonne à une vengeance sunnite. Moscou respecte et protège ses « pieds-noirs ».
5/les Russes ont toujours eu le souci de nouer des liens avec l’Iran. Les frontières communes qu’ils avaient du temps de l’URSS ont disparu. Ils compensent ce manque  par une relation Syrie – Irak – Iran.
6/les Russes ont maintenu les gros contrats d’armement que les Soviétiques avaient signés avec les Syriens du temps d’Hafez al-Assad.
7/et puis, en toile de fond, ce problème interne russe oppressant des attentats commis par les Tchétchènes qui sont d’obédience sunnite.
 
La Chine et la Syrie
Les Chinois se trouvent un peu dans la même situation que les Russes :
ils affrontent des problèmes de sécurité interne dans leur province la plus occidentale, le Xin-Jang peuplée de Ouiggours qui sont également musulmans sunnites.
Par ailleurs, les Chinois, souffrant de carence en sources d’énergie, sont dépendants de l’Iran et de l’Irak pour le pétrole. Loin d’eux, l’idée de déplaire aux chiites.
 
Un relent de  guerre froide…
La Russie détient en Europe la quasi- exclusivité du marché du gaz, hormis quelques importations d’Algérie. En 2012, les États-Unis, avec l’accord du Qatar et de l’Arabie Saoudite, ont décidé de combattre ce monopole russe en misant sur un marché du gaz extrait au Qatar.
Ce gaz serait acheminé par un gazoduc vers la Méditerranée à destination de la Turquie (Adana), la Syrie (Lattaquié), le Liban (Tripoli) et Israël (Haïfa).
L’arrangement serait en bonne voie avec ces pays sauf, évidemment la Syrie, qui dans ce projet tient une place stratégique capitale : le parcours du gazoduc, partant du Qatar via l’Arabie Saoudite, éviterait l’Iran et l’Irak, pour atteindre la ville de Homs en plein milieu de la Syrie qui deviendrait une sorte de « gare de triage » en direction des quatre villes susnommées de Turquie, du Liban et d’Israël.
Il faut donc, pour réaliser cette gare de triage, faire tomber le régime syrien de Bachar afin de laisser place nette aux sunnites du Qatar, d’Arabie Saoudite, de Syrie et de Turquie.
À cause du pétrole, Bush junior et son ministre de la Défense, totalement investis dans l’industrie pétrolière du Texas, avaient riposté à l’attaque du 11 septembre 2001 en attaquant l’Irak alors que l’évidence commandait de mettre immédiatement « le paquet » sur l’Afghanistan. Une erreur qui devait leur  coûter 4000 G.I. pour rien.
«Bis repetita placent », les Américains prennent des risques insensés, non  plus pour le pétrole irakien, mais pour le gaz qatari. La guerre froide ressurgit mais cette fois sous une forme économique. Les Américains ne sont plus à un paradoxe près : en faisant affaire avec le Qatar, ils encouragent les salafistes qui tuaient leurs soldats en Afghanistan et en Irak.
 
La guerre des berceaux

. Lorsqu’en 1979, je me trouvais au sud-Liban où la population est presque exclusivement de confession chiite, j’avais observé, après l’avènement de Khomeini en Iran, que le mot d’ordre donné aux femmes chiites était d’avoir au moins sept enfants. Ce mot d’ordre a été strictement respecté partout : en Irak, au Liban, au Yémen, à Bahrein… où les chiites sont devenus majoritaires.
Ainsi une sorte d’axe stratégique partant de l’Afghanistan occidental, passant par l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban atteint la Méditerranée et coupe en deux le monde sunnite avec au nord la Turquie et au sud l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe.
La situation est devenue conflictuelle partout au Moyen-Orient. On parle très peu du Yémen et encore moins de Bahrein où les majorités chiites sont  massacrées par les sbires de l’Arabie Saoudite. La situation est l’inverse de celle de Syrie mais comme les caméras en sont absentes, on n’en parle pas.
 

J’ai tenu à jeter ces quelques réflexions pour appeler l’attention de mes amis sur cette région explosive de la planète que constitue « ce Moyen-Orient d’autant plus compliqué » qu’il fait l’objet d’une mauvaise information, quand ce n’est pas de désinformation, par la plupart des médias occidentaux.
 
Le 15 décembre 2016
 
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