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La Chine et le Traité de Versailles: une trahison occidentale? Le Casoar

Casoar

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13/11/2018

La Chine et le traité de Versailles, une trahison occidentale ?


Par le lieutenant-colonel Jean-Claude Martin – Promotion « Lieutenant-colonel Brunet de Sairigné » (1967-69)


Alors que l’on s’apprête à célébrer le centenaire de l’armistice de 1918, le 11 novembre prochain, un pays pourrait bien ne pas s’associer aux commémorations qui seront organisées à cette occasion : la République Populaire de Chine. Car, bien qu’ayant déclaré la guerre aux empires centraux le 14 août 1917, celle qui s’appelait alors la République de Chine, et qui se trouvait donc dans le camp des vainqueurs, n’allait pas signer le traité de Versailles le 28 juin 1919, estimant avoir été trahie par les puissances occidentales.



Les prémices


République nouvellement proclamée après une courte révolution d’officiers qui abattait l’Empire mandchou des Qing en 1911, celle-ci proclamait dans un premier temps sa neutralité, soucieuse de ne pas se placer malgré elle dans une situation de guerre, les belligérants de la Grande Guerre, dont la France, se trouvant sur son territoire (les Concessions étrangères) depuis les guerres de l’opium (1839 à 1860). Toutefois, la guerre sous-marine à outrance menée par l’Allemagne à partir du début de 1917 (torpillage en Méditerranée du paquebot «Athos» de la compagnie  des Messageries Maritimes, le 17 février de la même année, tuant plus de 700 travailleurs chinois se rendant en France) servit de prétexte à la Chine pour entrer en guerre aux côtés des Alliés afin de participer à la Conférence de la Paix : l’objectif était d’obtenir  la révision des (très explicites) « Traités Inégaux » qui avaient placé l’Empire du Milieu sous la quasi tutelle économique et financière des puissances étrangères, de renégocier le paiement des lourdes indemnités imposées au pays à la suite de la guerre des Boxers (1900), mais aussi de récupérer les droits de l’Allemagne, arrivée tardivement dans l’aventure coloniale, sur la province maritime du Shantung et sa base navale de Tsingtao[1] – censée être la « Hong-Kong du Nord » - acquise en 1898 ( bail de 99 ans) selon « la diplomatie de la canonnière », symbole inacceptable de la perte de souveraineté de la Chine sur son territoire . 

Déjà en 1916, malgré sa neutralité affichée, la Chine s’était engagée aux côtés des Alliés en envoyant 140 000 travailleurs en France au profit des Français et des Britanniques, non en tant que combattants, mais comme réservoir de main-d’œuvre dans les bases arrières des armées, espérant en tirer des bénéfices (ceux que l’on a appelé « Les oubliés de la Grande Guerre », et qui n’auront finalement servi à rien, ou presque, pour les négociations à venir).



Coup de tonnerre !


Car à la Conférence de la Paix, organisée à Versailles afin de régler le sort de l’Allemagne, la délégation chinoise, apprenant sur place, et ce malgré les  principes énoncés par le président Wilson en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que la province du Shantung et son enclave de Tsingtao ne serait pas restituée à la Chine, mais attribuée à l’ennemi héréditaire, le Japon, puissance montante de l’Extrême-Orient depuis l’ère Meiji (1868-1912), entré en guerre aux côtés des Alliés dès le début du conflit en menant derechef l’assaut de Tsingtao- avec l’aide des Britanniques, il faut le souligner, quittait brusquement la conférence avant la signature du traité. En effet, le gouvernement de Pékin, ou ce qui en tenait lieu, déjà échaudé par les « Vingt-et-une demandes » du Japon en 1915 visant à étendre sa domination sur la Chine, câblait à ses représentants à la Conférence l’ordre de ne pas signer le « Diktat » de Versailles , agissant en réalité sous la pression intérieure : en effet, des manifestations massives d’étudiants avaient lieu place Tian An Men, à Pékin, puis dans le reste du pays, en réaction contre les clauses du traité de Versailles en préparation, épisode connu sous le nom de « Mouvement du 4 mai » (1919 ). Véritable «  Révolution culturelle »  avant la lettre, rejet, par les intellectuels, de la culture et du passé chinois responsables, selon eux, du retard pris par la Chine, tant sur le plan politique, économique et scientifique, que dans le domaine de la pensée ; lancée aux cris d’« À bas la boutique Confucius », la révolte se transformera en un mouvement nationaliste moderne, « Chassons les étrangers », expression d’un « printemps chinois » (déjà !) que le pays commémore chaque année.

 L’empire nippon allait certes subir un coup d’arrêt à sa politique expansionniste à la Conférence de Washington en 1921/1922 sur la réduction des armements navals (les territoires en question étant alors restitués à la Chine ), mais le pays du Soleil-Levant, sous emprise totale des militaires, reprenait de plus belle sa marche en avant, d’abord en envahissant la Mandchourie en 1931, puis les provinces nordiques et côtières du pays en 1937, sans grande réaction de la toute récente Société des Nations (SDN), pas plus que des grandes puissances occidentales – toutes des nations colonialistes – début d’une guerre sino-japonaise qui ne se terminera qu’en 1945 sur fond de seconde guerre mondiale.


Trahison (s) / Humiliation

Méconnaissance de la situation géopolitique de l’Extrême-Orient chez les participants à la Conférence de la Paix ? Désintérêt des Occidentaux pour les questions asiatiques au regard de l’importance du règlement européen, notamment des principaux décideurs : le Français Clemenceau, président de la Conférence, dont la tête était plus à Versailles qu’à Tsingtao, le Britannique Lloyd Georges, solide allié des Japonais depuis 1902, ou encore l’Américain Wilson oubliant ses beaux principes malgré son anticolonialisme, avant tout soucieux de sauver « sa » SDN ? La Chine, ayant finalement contre elle sa faiblesse politique et militaire, et ses divisions internes, était sacrifiée sans appel.

A moins que les dés n’aient été pipés d’avance avec les accords secrets passés entre le Japon et la Chine en septembre 1918, celle-ci ayant accepté des prêts japonais pour la construction de lignes de chemins de fer dans le Shantung (et que le Japon était autorisé à garder militairement ), ou pire, trahison de certains dirigeants chinois (nous sommes en pleine lutte des « cliques »), jouant la peste contre le choléra en se faisant « arroser » par le Japon pour se maintenir au pouvoir dans une Chine en proie à une quasi guerre civile, en échange de leur soutien à la décision de la Conférence[2] .

Il faudra attendre Mao en 1949 pour redonner à la Chine son unité et son indépendance, après ce que l’on a appelé « le siècle de la honte » - l’affaire du Shantung n’en étant pas le moindre des épisodes, constituant un cas d’école de la diplomatie, de la géopolitique et du droit international – un traumatisme dont la Chine aujourd’hui en pleine renaissance n’est pas près d’être guérie[3]


[1] Aujourd’hui « Qingdao », du nom de la bière mondialement connue, fabriquée dans les brasseries de la ville dès 1902, et que la Chine continue à produire.

[2] On pourra se reporter à l’excellent ouvrage de l’historien Jean-José Ségéric, dont le titre est repris ici.

[3] Et de nos jours le Palais d’Eté, saccagé par les Anglo-Français en 1860, a été transformé en magnifique jardin public où les Pékinois vont se promener le dimanche, mais les ruines ont été laissées en l’état pour, dit un écriteau, «  garder vivant le souvenir de l’humiliation nationale ».

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