La bataille des champs Catalauniques (au lieu-dit de Campus Mauriacus) a opposé en 451 apr. J.-C. les forces coalisées romaines, gallo-romaines et surtout germaniques, menées par le patrice romain Ætius d'une part, et l'armée composite de l'empire des Huns, emmenée par Attila, d'autre part. La bataille qui met aux prises plusieurs dizaines de milliers de combattants, est une véritable lutte fratricide entre Goths, Francs d'un côté, Huns, Sarmates et autres peuples des steppes de l'autre, les uns dans le camp romain d'Occident, les autres dans l'armée d'Attila déjà en retraite après son siège infructueux d'Aurelianum (Cenabum, Orléans)2. Elle n'a jamais été précisément localisée.
Emile Mourey (53-55) relit et interprète le texte de Jordanès, évêque de Ravennes (« Histoire des Goths, 551 après J.C. »). Il s’efforce notamment de localiser la bataille à partir d’un texte écrit en latin traduit par Nisard sur le site de Philippe Remacle.
En toute logique, l’auteur commence son récit en venant du Nord, depuis la grande plaine d'où l'on a vue sur la ville de Chalon. A sa gauche, il voit la vallée de la Saône et un terrain plat. A sa droite, il voit les monts d'Agneux qui montent en pente douce, des monts probablement déboisés pour des questions de sécurité.
Sur le terrain incliné du champ de bataille s'élevait une éminence qui formait comme une petite montagne. Chacune des deux armées désirant s'en emparer, parce que cette position importante devait donner un grand avantage à qui s'en rendrait maître, les Huns et leurs alliés en occupèrent le côté droit, et les Romains, les Visigoths et leurs auxiliaires, le côté gauche. Le point le plus élevé de cette hauteur ne fut pas disputé, et demeura inoccupé.
Étude du terrain d'après la carte de Cassini. Dispositif des deux adversaires.
En allant de votre droite à votre gauche, voyez la Saône bien visible. En rouge, sur sa rive droite, la cathédrale de Chalon-sur-Saône. En surimpression, la ville fortifiée à l'intérieur de son enceinte. Puis, le carrefour des voies de l'époque. En vert, la vallée de la Thalie et la Thalie, en bleu foncé, véritable barrière d'eau qui protégeait la ville. Une ligne de hachures en gris sombre représente la pente pour accéder à l'éminence, plateau allongé en blanc, image de petite montagne. Les Romains, les Wisigoths et leurs auxiliaires se sont installés dans la vallée de la Thalie, Aetius et les Romains au sud en protection de Chalon à l'aile gauche, les Visigoths et leurs auxiliaires, au nord, à l'aile droite. Le point le plus élevé de cette hauteur est au sud, là où se dresse la tour antique, sur la carte au-dessous de la fin du groupe de mots "château de Taisey".
L'armée des Huns vient d'Orléans où elle a subi un grave échec. Elle s'est établie dans la vallée de l'Orbize, dans un dispositif semblable. Attila est au centre avec les plus braves des siens. Sur ses ailes, les nombreux peuples qu'il a soumis avec leurs rois parmi les plus braves, les Ostrogoths, à sa gauche.
Pourquoi le lieu haut ne fut occupé, ni par les Huns, ni par Aetius ?
Tout simplement parce que s'y trouvait la forteresse dont il ne subsiste aujourd'hui que la tour principale dite de "Taisey", laquelle ne pouvait tomber que par un siège en règle. Et pourtant, Attila va en prendre le risque. Je cite : on combattit donc pour se rendre maître de la position avantageuse dont nous avons parlé. Attila fit marcher ses guerriers, pour s'emparer du haut de la colline ; mais il fut prévenu par Thorismund et Aétius, qui, ayant uni leurs efforts pour gravir à son sommet, y arrivèrent les premiers, et repoussèrent facilement les Huns, à la faveur du point élevé qu'ils occupaient... il faut comprendre : "depuis la forteresse".
Alors Attila, s'apercevant que cette circonstance avait porté le trouble dans son armée, jugea aussitôt devoir la rassurer, et lui tint ce discours... Marchons donc vivement à l'ennemi ; ce sont toujours les plus braves qui attaquent. N'ayez que mépris pour ce ramas de nations discordantes ; c'est signe de peur, que de s'associer pour se défendre. Voyez ! même avant l'attaque, l'épouvante déjà les entraîne ; elles cherchent les hauteurs, s'emparent des collines, et, dans leurs tardifs regrets, sur le champ de bataille elles demandent avec instance des remparts....Tandis qu'ils se serrent sans ordre, et s'entrelacent pour faire la tortue, combattez, vous, avec la supériorité de courage qui vous distingue, et, dédaignant leurs légions, fondez sur les Alains, précipitez-vous sur les Visigoths...
On en vint aux mains : bataille terrible, complexe, furieuse, opiniâtre, et comme on n'en avait jamais vu de pareille nulle part. De tels exploits y furent faits, à ce qu'on rapporte, que le brave qui se trouva privé de ce merveilleux spectacle ne put rien voir de semblable durant sa vie : car, s'il faut en croire les vieillards, un petit ruisseau de cette plaine, qui coule dans un lit peu profond, s'enfla tellement, non par la pluie, comme il lui arrivait quelquefois, mais par le sang des mourants, que, grossi outre mesure par ces flots d'une nouvelle sorte, il devint un torrent impétueux qui roula du sang ; en sorte que les blessés qu'amena sur ses bords une soif ardente y puisèrent une eau mêlée de débris humains, et se virent forcés, par une déplorable nécessité, de souiller leurs lèvres du sang que venaient de répandre ceux que le fer avait frappés.
Quel est ce petit ruisseau ?
Il existait encore au siècle dernier, avant que les lotissements ne le fassent disparaître. Il descendait du milieu du plateau et alimentait un petit lac qui, ensuite, par un simple fossé, alimentait les fossés de la forteresse.
Ce lac, le voici, tel qu'il devait être avant la construction du château versaillais. Au fond et à droite, on devine le passage par lequel il devait s'écouler jusqu'aux fossés du château-fort en léger contre-bas. De toute évidence, ii devait exister une sorte d'écluse qui permettait de mesurer la quantité d'eau à envoyer tout en l'économisant.
Nous sommes là, au coeur du combat, combats terribles, sanglants, jusque dans l'eau où les plus forts poussaient les vaincus ensanglantés. Serait-ce le nombre des morts qui aurait fait monter le niveau du lac jusqu'à le faire déborder ? jusqu'à y faire couler le sang dans les fossés du château-fort. Des fouilles archéologiques nous donneront peut-être l'explication. De quand date le tunnel que l'on devine sur la photo ? car s'il n'existait, à cette époque, qu'un fossé de là à la forteresse, on devine que l'écluse s'est rompue dans la fureur des combats et que le lac se vidant, le ruisseau soit devenu "torrent" jusqu'à charrier le corps des morts et des mourants.
Mais quelles étaient donc les motivations d'Attila ?
Tout simplement la faim. On se rappelle qu'Attila est déjà venu une première fois à Chalon, avant d'assiéger Paris et Orléans ; on se rappelle que le roi burgonde lui avait cédé les trésors de la cité entreposés dans la tour pour que cesse le "butinage" pratiqué par ses troupes. Nul doute que la cité avait dû, alors, le ravitailler pour qu'il quitte la région. Nul doute qu'Attila y revenait pour la même raison. Car Chalon était riche en blé, César l'affirme, et ce blé, où était-il mieux gardé que dans l'oppidum de la forteresse de Taisey?
Fuite d'Attila ; des chefs qui se perdent dans la nuit... une grande pagaille !
...Alors les Visigoths, se séparant des Alains, fondent sur les bandes des Huns ; et peut-être Attila lui-même serait-il tombé sous leurs coups, s'il n'eût prudemment pris la fuite sans les attendre, et ne se fût tout d'abord renfermé, lui et les siens, dans son camp, qu'il avait retranché avec des chariots...
Thorismund, fils du roi Théodérie, et le même qui s'était emparé le premier de la colline avec Aétius et en avait chassé les Huns, croyant retourner au milieu des siens, vint donner à son insu, et trompé par l'obscurité de la nuit, contre les chariots des ennemis ; et, tandis qu'il combattait bravement, quelqu'un le blessa à la tête, et le jeta à bas de son cheval ; mais les siens qui veillaient sur lui le sauvèrent, et il se retira du combat. Aétius, de son côté, s'étant également égaré dans la confusion de cette nuit, errait au milieu des ennemis, tremblant qu'il ne fût arrivé malheur aux Goths. A la fin, il retrouva le camp des alliés après l'avoir longtemps cherché, et passa le reste de la nuit à faire la garde derrière un rempart de boucliers. Le lendemain, dès qu'il fut jour, voyant les champs couverts de cadavres, et les Huns qui n'osaient sortir de leur camp, convaincus d'ailleurs qu'il fallait qu'Attila eût éprouvé une grande perte, pour avoir abandonné le champ de bataille, Aétius et ses alliés ne doutèrent plus que la victoire ne fût à eux...
...Aussi les Goths et les Romains s'assemblèrent-ils pour délibérer sur ce qu'ils feraient d'Attila vaincu ; et comme on savait qu'il lui restait peu de vivres, et que d'ailleurs ses archers, postés derrière les retranchements du camp, en défendaient incessamment l'abord à coups de flèches, il fut convenu qu'on le laisserait en le tenant bloqué. On rapporte que, dans cette situation désespérée, le roi des Huns, toujours grand jusqu'à l'extrémité, fit dresser un bûcher formé de selles de chevaux, prêt à se précipiter dans les flammes si les ennemis forçaient son camp ; soit pour que nul ne pût se glorifier de l'avoir frappé, soit pour ne pas tomber lui, le maître des nations, au pouvoir d'ennemis si redoutables...
...Durant le répit que donna ce siège, les Visigoths et les fils de Théodéric s'enquirent les uns de leur roi, les autres de leur père, étonnés de son absence au milieu du bonheur qui venait de leur arriver. L'ayant cherché longtemps, selon la coutume des braves, ils le trouvèrent enfin sous un grand monceau de cadavres, et, après avoir chanté des chants à sa louange, l'emportèrent sous les yeux des ennemis. Vous eussiez vu des bandes de Goths aux voix rudes et discordantes s'occuper des soins pieux des funérailles, au milieu des fureurs d'une guerre qui n'était pas encore éteinte. Les larmes coulaient, mais de celles que savent répandre les braves.
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